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vendredi 6 mai 2016

Philippe Priser LE TELEGRAMME

Philippe Priser LE TELEGRAMME

Après une belle carrière de régatier, Philippe Presti est aujourd'hui un coach très demandé. Le marin originaire d'Arcachon, artisan de l'incroyable victoire de Team Oracle dans la Coupe de l'America 2013, est reparti pour une nouvelle campagne avec les Américains. Avant la deuxième étape des America's World Series à New York, nous l'avons longuement questionné.


- Comment un Français fait-il pour devenir le coach d'une équipe américaine sur la Coupe de l'America ?
 
A la base, je suis professeur d'EPS, j'ai fait des études à l'Insep. Avant de devenir athlète, j'ai un passé de formateur. J'ai fait une carrière en voile olympique avec deux sélections pour les Jeux Olympiques, avec deux titres de champion du monde de Finn. J'ai également fait du Star, du Soling, du match-racing, du Laser. J'ai touché à tout, car j'ai toujours été très intéressé par ce qui est nouveau et différent. Après les JO de Sydney, je faisais du Soling et j'étais très orienté match-racing. Tout cela m'a emmené à la barre du bateau du Défi Français "Areva" en 2003 à Auckland. Voilà comment je suis entré dans la Coupe de l'America. Ce fut une grande découverte, un sport d'équipe avec du développement. A l'époque, on était loin du compte côté français, on avait une équipe jeune, c'était la découverte. A l'issue de cette première expérience-là, j'ai été recruté par un top team, Luna Rossa Challenge, sponsorisé par Prada. J'étais barreur et tacticien sur le deuxième bateau. J'ai disputé quelques régates de la Coupe à la stratégie, Jimmy Spithill était à la barre de l'autre bateau. A Valence, on a disputé une finale de la Coupe Louis-Vuitton contre les Kiwis. L'idée du coaching a commencé à germer à cette époque-là. J'ai signé comme deuxième barreur et mon objectif était de faire progresser l'équipe, d'apporter le plus d'informations. J'ai donc pris en charge la cellule de décision. Dans un premier temps, on a beaucoup travaillé les phases de départ avec Jimmy. C'était un peu nouveau à ce moment-là. J'ai aussi pris en charge la cellule de décision qui comprenait, à l'époque, la météo, la stratégie, la tactique et le poste de barreur. J'étais toujours athlète, je barrais toujours (3e des championnats du monde de match-racing), j'étais toujours dans le coup. Aujourd'hui, ce ne serait plus vraiment le cas (rires). A l'issue de cette expérience-là, Jimmy Spithil m'a demandé de le rejoindre chez Oracle, avec ce challenge un peu bizarre sur ce gros bateau, ce multicoque. J'ai essayé d'animer la cellule "décision" chez Oracle. Il y a eu une victoire à la clé. A l'issue de cette victoire, Oracle m'a demandé de les rejoindre en tant que coach. Là, j'ai eu des possibilité élargies sur l'ensemble du groupe. Avec la victoire en 2013 à San Francisco, et une confiance renouvelée pour cette campagne 2017. Dans la période San Francisco, j'ai fait évoluer ma palette et ma zone d'influence. Je suis maintenant également impliqué dans les relations entre le design team et le sailing team. J'anime les défriefings "performances". Mon objectif, c'est la résolution des problèmes techniques et des problèmes humains.
 
 
- Dans une ITV parue dans Sud-Ouest en 2013, vous racontez en détail ce stage commando, avec "des heures passées dans la flotte et le froid pour faire des travaux complètement inutiles, sous la pression de deux soldats des commandos de marines américains". C'est ainsi que vous sélectionnez les équipiers chez Oracle ?
 
Pas du tout. On sélectionne les meilleurs marins et surtout les gens qui ont le potentiel pour apporter de la plus-value. Cette expérience commando s'explique par le fait que les autres équipes avaient une épreuve qui était la Coupe Louis-Vuitton, on pensait que ça allait les aider à se préparer, à rentrer en mode compétition. Nous, nous n'avions pas cela, notre deuxième bateau avait été arrêté assez longtemps à cause d'un dessalage, donc on était pas mal limité en termes de compétition. Donc, l'idée était de sortir les gens de leur zone de confort parce que la compétition te propose des situations auxquelles tu n'as pas eu accès et ça a tendance à te faire déjouer. On voulait leur montrer jusqu'où ils pouvaient aller. C'était très intéressant en termes de stress. C'était physique, déstabilisant mentalement, cela nous a appris plein de choses. Derrière, on a débriefé pour comprendre. Je ne sais pas si ça aide pour gagner une épreuve mais ça a soudé des liens, des leaders se sont révélés, d'autres leaders n'ont pas été au niveau.
 
 
- Revenons sur la dernière édition : qu'avez-vous dit à votre équipage lorsqu'il était mené 8 à 0 ?
 
Étonnamment, on était déjà sur la pente ascendante parce qu'on était parti avec un déficit de deux points. On avait enfreint le règlement sur une épreuve de la Coupe. Le moment clé, c'était à 6 à -1. Dès qu'on a fait la première manche, on a vu qu'on avait un gros problème. Il fallait poser le problème, juste après les régates. J'avais quatre ou cinq écrans de télévision reliés à un ordinateur, avec tous les éléments vidéos, toutes les données possibles de notre bateau et de l'adversaire. Là, on débriefe tout. On observe, on fait un état des lieux qui amène des interrogations et des process d'ajustement. Dès la première manche, on avait des plans, on a construit un plan de réaction au problème. C'est ce qui nous a permis de résoudre un certain nombre d'énigmes. On a cassé le code pour apprendre à voler au près notamment, pour apprendre à virer avec la coque au vent qui est très haute et qui permet de limiter les traînées. D'un point de vue technique, c'était très efficace et d'un point de vue mental, c'était aussi extrêmement efficace. On n'était pas en train de se dire "zut, on va perdre la Coupe, qu'est-ce qu'on va penser de moi, il faut que je réponde aux médias, etc". On était dans un mode de résolution des problèmes et on avait huit manches pour atteindre cet objectif. On a gagné une manche au début, puis on s'est fait rattraper sur plein de manches où nous étions en tête. A partir du 6 à -1, les quatre manches suivantes, on en gagne deux, ils en gagnent deux. Là, on avait trouvé les clés de la vitesse du bateau, on était à égalité de performances avec Team New Zealand et il suffisait de prendre les bonnes décisions alors qu'au départ, on allait moins vite qu'eux. 
 
- Vous étiez au bord du précipice à un moment, non ?
 
Oui, on s'est posé plein de questions, on se demandait si on allait y arriver dans les temps. A 8 à 0, on est au bord du précipice mais, on avait les moyens techniques de gagner, on a développé le bateau dans un sens, on a copié, on a adapté, on a créé notre propre modèle pour aller de plus en plus vite. A la limite, 8 à 0, c'était plus simple! A 6 à -1, on a eu un vendredi 13, où on a tout mis sur la table : on voulait changer les foils, reculer le mât de 1 mètre pour modifier l'équilibre du bateau, on n'était même pas sûr de pouvoir naviguer le lendemain... Ça partait un peu dans tous les sens. Mon discours fut le suivant : "On n'est pas bien mais on progresse, on va gagner des manches". C'était clair, je ne savais pas qu'on allait gagner la Cup mais je savais que, pour des raisons techniques, on allait réussir à faire mieux certaines choses. En même temps, il y avait un changement de marée. On avait eu une marée qui venait du pont avec le courant dans le nez, au près, ce qui aplatissait vraiment la mer et le courant qui nous poussaient au portant. Au portant, on était à l'aise mais, au près, on avait beaucoup de mal donc ça allait s'arranger. En plus, lorsque le courant descend, il y avait plus de vagues et j'étais persuadé que le bateau des Néo-Zélandais était moins stable dans les vagues. J'avais aussi des éléments humains que je garderai pour moi.
 
- Au cours des huit manches remportées par Team New Zealand, les Kiwis semblaient intouchables. Puis, d'un seul coup, le vent a tourné, Oracle a commencé à aller plus vite, à mieux "voler". Ce n'est pas que dans les têtes que ça se passe. Techniquement, qu'avez-vous changé sur votre bateau ?
 
Si, c'est dans la tête que ça se passe. La tête suit les jambes. Si on a un bon processus de résolution de problèmes, ça créé une dynamique très positive. Cela ne veut pas dire qu'on est sûr d'y arriver mais on est sur la brèche, ça cogite autour du nous, on a un plan. A 6 à -1, techniquement, on était parti pour tout changer et, le soir, on n'a rien changé. Mon credo était le suivant : "On a ce qu'il faut, il faut juste l'utiliser mieux". Le seul truc qu'on a changé, c'est une alarme sur l'aile. On a coupé l'alarme car, au près, on atteignait des charges de rupture. On a changé notre profil d'aile, c'était plus risqué mais ça équilibrait mieux notre bateau. On a pris un risque mais le bateau a pu commencer à voler avec une meilleure stabilité. On a aussi évolué en observant l'adversaire. Ce que je trouve géniale dans la compétition, c'est la capacité du dépassement. Les Kiwis écrasaient la concurrence, ils se baladaient. Sans eux, on ne serait jamais arrivé à voler au près notamment.
 
 
- Vu de France, Oracle Team, c'est Larry Ellison avec es moyens illimités. Est-ce réellement le cas ou comptez-vous chaque dollar ?
 
Bien sûr qu'on compte. On a un budget qui a été voté en début de campagne et il y a des choix à faire. Chaque fois que j'ai besoin de quelque chose, je fais une demande et cette demande est discutée. On est sur un fonctionnement d'entreprise avec des budgets limités. D'ailleurs, l'évolution de la Cup, qui a été poussée par Larry Ellison, c'est-à-dire passer de 72 à 62, puis à 50 pieds sur des bateaux One Design, oui, l'idée est de limiter les coûts.
 
- Des AC45, des AC45 Turbo et enfin des AC50. Ça n'aurait pas été plus simple et moins coûteux de disputer la Coupe avec les AC45 ?
 
Honnêtement, les performances d'un AC45 sont super limitées. Ils ont été développés pour apprendre à manier l'aile et ensuite pour faire les World Series avec des bateaux que l'on peut trimbaler à gauche et à droite, mais l'essence même de la Cup force à pousser vers les limites architecturales, les limites techniques et les limites humaines. Si on fait la Cup en Laser, bon... J'aime bien le Laser mais il va manquer un truc. Il faut du design, des bateaux qui vont aux limites.
 
- Un mot sur les Italiens qui ont dû se retirer après le changement de format ?
 
Ce n'est pas facile, c'est compliqué, je n'ai pas tous les éléments. C'est décevant pour eux, comme pour nous, pour le monde de la voile. C'était ma famille pendant quatre merveilleuses années, donc c'est très triste de ne plus les avoir en lice.
 
- Quel regard portez-vous sur Groupama Team France ?
 
C'est génial que Franck Cammas ait réussi à monter ce projet. C'est un défi compliqué. La Coupe de l'America en France, c'est difficile, car elle n'a pas l'audience que l'on trouve ailleurs dans d'autres pays comme les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande ou l'Angleterre. C'est une épreuve difficile, c'est ingrat, on ne parle que du premier. Si tu fais 3e, t'es nul (rires). Quand tu vois la quantité de talents et de compétences nécessaires pour gagner cette Coupe de l'America, c'est phénoménal. Quand tu vois les Kiwis qui rentrent chez eux la tête basse, c'est difficile. C'est un challenge dur qui n'a pas une très bonne presse en France. J'espère que les Français vont réussi à faire de belles performances sur les World Series pour changer la perception des gens sur cette épreuve.
 
- Franchement, les Américains craignent-ils le défi français ?
 
Honnêtement, après le changement de règlement, les Italiens n'étaient pas contents mais je peux vous dire que ceux qui en pâtissent le plus, c'est nous. On avait une avance énorme en termes de design et de connaissances, on avait développé nos bateaux, on était les tenants du titre. Et là, on est passé sur des bateaux qui ont 90 % moins de design, plus petits donc plus simples à mettre en œuvre, beaucoup moins onéreux. Aujourd'hui, c'est la Coupe de l'America la plus ouverte pour un challenger. Je ne serais pas étonné qu'il y ait de grosses surprises. J'ai pu m'apercevoir des différences abyssales qu'il pouvait y avoir entre des équipes ayant gagné et des équipes qui pensaient avoir les moyens de gagner. Quand tu regardes un iceberg, tu ne vois que le haut mais tu ne sais pas ce qu'il y a en dessous. Aujourd'hui, notre savoir-faire est partagé parce que le bateau est One Design. Les seules différences vont être les systèmes de contrôle des ailes et les design des foils. Je suis persuadé que la Coupe va être extrêmement ouverte, qu'on aura des surprises. Donc, on craint tout le monde. On cherche à progresser.
 
- Ben Ainslie annonce qu'il va ramener la Cup en Angleterre : vous en pensez quoi ?
 
Ce serait génial pour lui (rires) mais ça ne m'excite pas des masses ! Il a construit sa campagne et son plan de financement sur le "retour de la Cup à la maison". C'est super bien joué mais je ne sais pas si beaucoup de monde a envie de naviguer dans le Solent, même au mois de juillet. Ce n'est pas l'endroit le plus excitant au monde.
 
- Les Kiwis ont viré Dean Barker et recruté une pépite, Peter Burling. Êtes-vous impressionné parce jeune barreur ?
 
C'est clair que c'est un des barreurs les plus talentueux de bateaux rapides que j'ai rencontré. Après, barrer un 49er et un bateau de 5 tonnes à 45 nœuds, avec la pression d'une équipe derrière, ce n'est pas pareil. Ce n'est pas le même match. Développer un bateau, animer des défriefings, comprendre le discours des ingénieurs... Des bons pilotes, il y en a plein en Formule 1 mais des gens qui font évoluer la voiture, c'est plus compliqué à trouver. La position de Peter est aujourd'hui idéale mais ils ont perdu beaucoup avec le départ de Dean Barker. Ils auraient gardé Dean en l'associant à Peter, je pense que l'efficacité aurait été plus importante. Dean Barker a trouvé son bonheur ailleurs. Il se régale dans son défi japonais.
 
- La folie foil est en train de toucher toutes les classes : pensez-vous que l'on peut encore aller plus loin dans le domaine du vol ? 
 
On est toujours à la recherche du mieux. Bientôt, on pourra naviguer avec des coques sèches pendant toute la régate. Les contrôles système ont beaucoup évolué. On voit des bateaux qui enfournent, en déséquilibre. Aujourd'hui, on peut avoir des foils qui permettent de voler tout le temps, sans toucher l'eau. Mais un foil plus instable va être plus performant en vitesse pure. Le challenge, c'est de trouver des foils très radicaux qui vont nous emmener à des vitesses très importantes et de parvenir à les contrôler. Si on n'y arrive pas, on sera obligé de faire des foils moins radicaux, plus versatiles.
 
- A Oman, ça n'a presque pas volé par manque de vent. Est-il possible d'avoir ce type de conditions aux Bermudes pour la Cup en 2017 ?
 
Ah oui. Aux Bermudes, les statistiques donnent 15 % de vent en dessous de 7 nœuds. Et je crois qu'on ne peut pas lancer une course en dessous de 7 nœuds aujourd'hui. Les bateaux ne sont pas du tout fait pour ça, ils doivent voler. A 8 nœuds, on vole au près et au portant.
 
 
- Philippe Presti coach du défi français, c'est possible ?
 
Tout est possible. Je serais ravi de pouvoir apporter ma pierre si les conditions sont réunies.
 
- Avez-vous été sollicité par d'autres teams ?
 
Oui. Sans plus de commentaires (rires).

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